Cette ravissante baie dont le grand axe est
long de 4 kilomètres et le petit de 2, est une de celles
qui furent certainement des plus fréquentées de
l'Afrique du Nord romaine.
Ortéga - Route de Stora du haut
Les Phéniciens qui, les premiers se réfugièrent
dans ses eaux si calmes, la dédièrent à
Vénus : ASTARTE, ASTOREH ou ASTORA, peut-être aussi
parce que les navigateurs venaient également d'un port
portant le même nom, assez répandu à cette
époque. La Bible mentionne, en effet, quelques ports
identiques créés par les Phéniciens.
ASTORA, servit de base au trafic avec l'interland et c'est ce
qui explique pourquoi les Romains consacrèrent également
RUSICADE à Vénus, d'autant plus, que cette déesse
était considérée comme la protectrice de
la famille impériale régnante. Stora devint un
faubourg de la ville neuve dont les historiens parlent exclusivement
par la suite
Plus tard lorsque Rusicade disparaît le nom de Stora revient
alors dans les récits des voyageurs et des historiens.
Le géographe arabe Edrissi signale MERS ESTORA comme
port sur la côte de Numidie. Au XVIe siècle l'Espagnol
Marmol écrit qu'ESTORE est une ancienne ville à
quatorze lieues de COL (Collo) du côté du Levant
dans le golfe d'Estore et de Numidie, ajoutant que Ptolémée
donne à ce port le nom de RUSICADE.
Léon l'Africain, un Maure de Grenade, l'appelle SUCAYDA.
Au XVIIe siècle Gramaye, explorateur, le médecin
hollandais Olivier Dapper citent SUCAYDA, tandis que Peysonnel
parle de STORAS ancienne Rusicade et le Dr Shaw, anglais, écrit
STORA-SGIGATA.
La petite cité dont la population vit presque entièrement
de la pèche et des industries s'y rattachant, s'étale
au flanc de la montagne qui l'encercle entièrement.
Son port qui connut autrefois la foule des navires venant chercher
les produits de l'Annone prélevé sur les provinces
de l'intérieur, pour les transporter à Ostie,
abrite aujourd'hui les barques, les balancelles et les chalutiers
les plus modernes.
Les Romains ont laissé des traces profondes de leur passage
et de leur occupation. A 116 mètres au-dessus de la mer,
sur la route de Stora à Collo, au ruisseau de la Fontaine
ferrugineuse, autrefois l'Oued Chadi (rivière des singes)
ils avaient capté les eaux et construit une piscine de
décantation (piscina Limaria). Deux bassins en contrebas,
avec vannes de dégorgement existent encore. La conduite
descend pendant 45 mètres et déverse son contenu
dans un autre bassin qui reçoit une autre source, puis
continu en pente rapide pendant 135 mètres, traverse
un tumulus dans un tunnel de 50 mètres qui fut restauré
par le génie militaire en 1842 et fonctionne encore.
A la sortie du tunnel, la canalisation se dirige vers les citernes
toujours en service.
Ces citernes sont des types admirables de la conception romaine
en hydraulique. Elles ont 25 mètres de long, 29 de large
et 14m50 de profondeur. L'intérieur est divisé
en 6 compartiments communiquant entre eux, et peuvent contenir
3 750m3 d'eau. L'extérieur restauré, sans aucun
goût, par des maçons modernes, ne donne pas l'impression
de la beauté intérieure du travail romain.
A 160 mètres de cette grande citerne, à 42 mètres
d'altitude, s'en trouve également une autre au milieu
du village. Elle mesure 9m15 de long sur 4m60 de large et 9
de haut.
La grande citerne devait être en communication avec cette
citerne secondaire, mais la canalisation n'en a jamais été
retrouvée. Par contre, une canalisation partant de la
citerne actuelle, aboutissait à un autre bassin de décantation
qui se déversait directement dans une fontaine monumentale
dont on remarquera la voûte (8m de large et 9m de haut)
où les ménagères viennent faire leur provision
d'eau. Jusqu'en 1840, d'autres citernes étaient également
visibles mais servirent d'assises aux habitations actuelles.
Stora est donc alimentée en eau potable de la même
façon et par les mêmes moyens à peine restaurés
que l'antique cité romaine.
C'est la seule ville de l'Afrique du Nord qui utilise encore
le travail des Romains.
En 1840 existaient les magasins généraux de l'administration
de l'Annone. Ils mesuraient 75 mètres de façade
sur la mer et avaient une profondeur allant de 4 à 15
mètres. Ils consistaient en de nombreuses voûtes
très élevées. Une inscription emportée
par un Officier et retrouvée au Musée de Toulouse
en 1881, rapprochée d'un fragment de pierre du Musée
de Philippeville, a permis de déterminer que ces magasins
ont été construits sous Vanetinien et Valens par
"PUBLIUS
CACIONNUS CAECINA ALBINUS, clarissime consulaire à six
faisceaux, de la province de la Numidie Constantinienne, pour
la sécurité du peuple romain et des provinciaux".
L'Annone était la redevance en nature, l'impôt
agricole payé par les provinces de l'Afrique Proconsulaire,
et consistait en céréales, huiles, vins, vinaigre
etc
Rendu à Rome, l'Annone était distribué
gratuitement aux citoyens indigents de la Capitale inscrits
sur des tables de bronze, et porteurs d'un ticket : le TESSERE
FRUMENTAIRE. La distribution s'en faisait au portique de Minucius
qui avait 45 portes correspondantes aux 45 quartiers de Rome.
L'Annone entretenait un nombreux personnel, depuis le Préfet
commandant en chef de cette armée dans l'Empire, jusqu'aux
commis, surveillants de greniers, mesureurs et portefaix, hommes
libres ou esclaves.
Stora était un dépôt centralisateur et devait
avoir un nombre respectable d'employés et d'esclaves.
Les bateaux chargés du transport des denrées de
l'Annone étaient parmi les plus imposants de la flotte
commerciale. L'écrivain Lucien décrit l'un d'entre
eux, l'Isis, trois mâts de 58 mètres de long, 14
de large et jaugeant 1 375 tonneaux. Stora envoyait les navires
à Ostie et les plus gros à Pouzzoles, ainsi que
le relate une inscription transportée au Musée
du Louvre.
L'Annone était considérée, par le peuple,
comme une véritable divinité. Une inscription
retrouvée à Rusicade fait connaître que
le citoyen M. AEMILIUS BALLATOR, bienfaiteur de la cité
a fait ériger une statue à l'Annone sacrée.
Stora fut donc sous la domination romaine un port débordant
de vie et de mouvement. Sur les ruines des magasins sont actuellement
construits les bâtiments de la Douane.
Certains immeubles comme celui de M. le Commandant Guillou possèdent
encore des caves aux murs d'une épaisseur formidable,
et qui constituaient une partie des magasins de l'Annone.
Sur le côté gauche de la grande citerne existait
un grand cimetière phénicien. Plus à l'Est
se trouvait la nécropole romaine.
Les maisons actuelles sont bâties sur ces nécropoles
qui n'ont pas été sérieusement fouillées.
Pendant la période de la domination turque, les tribus
des montagnes de Stora, étaient réputées
pour leur sauvagerie. Quatre caïds exploitaient, en particulier,
les marchands européens. M. Elie de la Primaudaie prétend
que les capitaines de navires qui allaient à Stora avaient
ordre d'y séjourner le moins longtemps possible et d'exercer
la plus grande surveillance.

Stora, la Route de Philippeville
Ils devaient établir une forte garde sur un des rochers
de la baie connu des marchands européens sous le nom
de presqu'île de Bramepau. Il leur était aussi
défendu de s'arrêter à Skikda (Philippeville)
et d'y faire leurs chargements. Ils ne pouvaient stationner
que dans le port de Stora. Les barques du navire et quelques
bateaux du pays, loués à cet effet, allaient chercher
sur la plage de Skikda les grains achetés.
Stora n'a jamais eu de comptoir français. Par contre
les Anglais venaient y commercer et étaient bien accueillis.
Les marchands Génois y arrivaient même si nombreux
qu'ils appelaient Stora le port Génois. Le Bey de Constantine
les protégeait, et avait installé des constructions
pour les recevoir au sommet de la montagne, face à l'îlot
des singes.
La compagnie anglaise connue sous le nom de Compagnie des 20
vaisseaux, la TURKEY COMPAGNY avait obtenu en 1607 grâce
à son agent résident à Alger, l'autorisation
d'établir des comptoirs à Stora et à Collo,
en concurrence avec les Provençaux qui avaient ce privilège.
Il en résulta de nouvelles réclamations du Consul
de France qui n'eurent pas plus de résultat que les précédentes.
Le succès des Anglais était dû à
ce qu'ils fournissaient d'armes et de poudre le Dey d'Alger.
Un capitaine Français Louis Pascal, a raconté
dans une lettre datée de Marseille du 23 novembre 1613,
la lutte entre Anglais et Français, à laquelle
il avait été mêlé, pour s'assurer
le monopole du commerce sur la côte barbaresque, il écrivait
:
"Il y a 6 ans environ, l'ambassadeur
d'Angleterre résidant à cette époque à
Constantinople, était désireux de trouver, dans
la mer Méditerranée, un bon port pour servir de
relâche aux bâtiments de sa nation. Il signale à
son roi un lieu situé sur la côte de Barbarie,
du nom de ESTORA, qui est désert et inhabité,
et que, sous prétexte d'y établir des pêcheries
de corail, on occuperait de manière à empêcher
désormais tout corsaire chrétien d'y aborder.
Le dit ambassadeur avait remis de grandissimes présents
à Sinan, pacha de la mer, pour être offerts au
Grand Turc, afin d'obtenir de lui des lettres patentes autorisant
la création de ces prétendues pêcheries,
avec magasins.
Sur ces entrefaites, arrive la note du Seigneur de Brèves,
ambassadeur du roi de France à Constantinople, lequel
avait découvert la malice des Anglais qui dissimulaient
leurs projets afin de prendre possession d'un bon port de refuge
sur la côte barbaresque. Il agit de telle façon,
que les diplômes délivrés aux Anglais furent
révoqués et qu'il obtint la même concession
pour le compte de la nation française.
A cette époque, étant capitaine de navire, j'allais
à Constantinople. Le dit sieur de Brèves me communiqua
cette négociation, me chargeant, à mon retour
à Marseille, d'en faire part aux personnes qui me paraîtraient
capables d'entreprendre les pèches, la construction des
magasins et le commerce, au dit port de Stora en leur promettant
de leur délivrer les patentes nécessaires pour
cela.
Aussitôt un bâtiment de Marseille armé et
muni de tout le nécessaire alla à Alger communiquer
les ordres de Constantinople. Tout le divan et la milice se
mirent en révolte, ne voulant entendre parler d'aucune
manière de ce projet sur ESTORA.
Ces chiens, disaient-ils, en s'établissant sur ce point
pour y faire le commerce, causeraient la ruine d'Alger et de
la Barbarie tout entière. Ils ajoutaient : "Les
chrétiens seraient capables de faire à Estora,
un fort comme celui qu'ils ont édifié à
Tabarka." En résumé les Français ne
purent pas mettre leur projet à exécution.
J'accomplis au mois de mars un second voyage moins pour faire
du commerce que pour bien voir le pays et constater l'importance
de ce point qui est le meilleur de la Barbarie. ESTORA peut
recevoir un grand nombre de galères et de galions, et
on peut s'y fortifier pour l'utilité et le bien de la
Chrétienté.
Dans cette contrée sont de hautes montagnes sur lesquelles
on pourrait hisser des canons pour attaquer ceux qui s'y seraient
fortifiés. Les Maures qui habitent n'ont pas peur des
Turcs et ne leur paient aucun impôt.
Les Chekles de ces Maures m'ont proposé de me donner
une carta, m'autorisant d'y construire une forteresse, ne me
demandant pour cela que 300 pièces de ochoréal
(pièce de 8) un quintal de poudre et un quintal de plomb
par an.
Je leur ai promis tout cela."

La mémoire du capitaine Louis Pascal
est de 1613, les Marseillais pendant un siècle ont lutté
pour conserver leurs droits de pèche.
Les archives de la Compagnie Royale marseillaise dévoilent
que la création d'un comptoir à Stora avait été
envisagée pour combattre la concurrence des Anglais.
En 1774 la Compagnie chargea le sieur Raynaud qui avait résidé
9 ans à Collo comme agent, de procéder à
une enquête sur place. A son retour il engagea vivement
les Directeurs de donner suite à leur projet. Voici un
extrait de son rapport :
"Le pays était plus fertile
que les environs de La Calle et sur une plus grande étendue,
le blé qu'on y trouvait était le plus beau de
la côte, il rapportait là 15 à 25 pour un,
tandis qu'à La Calle, dans les plus belles récoltes,
il ne donnait que de 15 à 20, la Compagnie pourrait en
tirer des quantités considérables, 15 à
20 000 charges. Le port était bon, du moins dans la belle
saison, meilleur même que celui de Bône, il pouvait
contenir 12 bâtiments à la fois sans danger.
On pourrait construire la maison du comptoir et des magasins
tout près de la mer et sans trop de dépenses,
car il y avait là les ruines d'une ville considérable
dont on pourrait utiliser les matériaux et même
les murailles. Le seul obstacle à redouter est la turbulence
des habitants : il y avait, à Stora même, quatre
cheiks rivaux et, dans le voisinage, cinq nations sans cesse
en guerre et qui n'obéissaient guère au Bey de
Constantine. Mais avec l'aide de celui-ci qui y était
intéressé, on pourrait faire reconnaître
un cheick unique à Stora et s'entendre avec la nation
la plus puissante.
Pour la sûreté du commerce, il fallait qu'outre
la maison, on y forma un fort avec quelques pièces de
canon et 40 ou 50 Turcs
qui seraient sous les ordres d'un
Agha et que ce fort, maison et magasin fussent entourés
d'une bonne et solide muraille
"
Deux autres mémoires furent encore adressés par
M. Raynaud le 20 avril 1775 et le 18 janvier 1777, mais sans
résultat. Aucun comptoir ne fut créé à
Stora.
Le 8 décembre 1741, un navigateur de la même compagnie
avait écrit sur Stora :
"Les bâtiments
peuvent y mouiller depuis 20 brasses jusqu'à 5, et c'est
toujours au pied des hautes montagnes de la nation des Bénimenès,
avec laquelle il n'y a aucune sûreté de traiter
Cette nation est toujours divisée et en guerre avec celle
des Oledmessaoud et les autres voisines avec qui l'on traite
pour l'achat de la denrée qui se mesure ordinairement
sur leur plage, éloignée du mouillage d'une lieue
Le concours des Anglais qui y abordent en foule lors de la traite,
la rend fastidieuse et vous met dans le cas de subir la dureté
des lois que l'insatiable avidité dicte aux chefs du
pays. On la donnerait au contraire, si la Compagnie obtenait
du Bey le commerce exclusif.
Le Caffi de ce pays pèse 11 quintaux, poids de Marseille
et revient à 12 piastres dont trois servent à
payer les droits du Bey et des chefs des Oled Messaoud, Oled
Jurma, Oled Dissa, Oled beni Mabuac. Il se recueille aux environs
de Stora, une quantité considérable de cire que
les Mahonnais enlèvent en contrebande."
On reconnaît malgré l'orthographe phonétique
employée par ce brave marin, les tribus des Ouled Messaoud,
des Ouled Beni-MeleK, etc, dont les descendants moins turbulents
peuplent encore les hauteurs de Stora. Ils ont appris à
connaître depuis un siècle la civilisation française
et s'en trouvent très bien.
Le Moniteur Algérien parle de Stora bien avant la conquête
de la région. Il informe ses lecteurs que :
"le brick le
Cygne stationnaire et le Mussoly, embarcation pontée,
viennent de capturer deux chebecks tunisiens qui, contrairement
à l'arrêté du 27 novembre 1834, échangeaient
au mouillage de Stora, contre des blés, leur chargement
de sel et probablement aussi de poudre, car tous les bâtiments
qui font le commerce avec les Arabes en sont pourvus. Au moment
de cette prise, plusieurs autres chebecks étaient en
vue, ce qui porterait à croire que la contrebande se
fait en cet endroit sur une plus grande échelle qu'on
ne l'avait pensé jusqu'à présent."

— Stora vue de la route
vers Grande Plage —
Le village de Stora est peuplé de
familles de pécheurs répartis dans les équipages
d'un certain nombre de balancelles, ils passent leur vie en
mer et font très souvent des pèches abondantes.
C'est du reste le poisson qui alimente la principale, sinon
la seule, industrie de Stora.
Cette partie de la côte algérienne, riche en éponges
et en coraux, est fréquentée par d'immenses bancs
de sardines et parfois de thons, qui constituent la richesse
de la population du village.
Les barques entrent au port surchargées de poissons qu'elles
déversent ensuite dans les usines de Stora et de Philippeville
; mais la spécialité des usines de Stora est la
salaison.
Plusieurs maisons grecques ont des comptoirs au Portugal, à
Stora et à Collo.
D'immenses quantités de poissons sont ainsi salées,
soigneusement alignées dans des barils spéciaux
en bois et attendent dans les magasins, l'arrivée de
grands cargos qui les transportent en Grèce où
elles sont très appréciées de la population
hellénique.
A Philippeville, l'industrie est différente et consiste
exclusivement dans la préparation des sardines à
l'huile, qui sont ensuite expédiées en boîtes
fermées en France et en Angleterre.
Les sardines préparées aux tomates, spécialités
du pays sont justement renommées et rivalisent avec les
meilleures marques de conserves européennes.
Les Directeurs des grandes usines Philippevilloises et de Stora
se feront un plaisir de faire visiter en détail leurs
ateliers, aux touristes qui le désireront.
Cette fabrication toute spéciale est très sérieuse
à étudier. Elle mérite d'être vue.
C'est dans la rade de Stora que débarquèrent
les troupes venant renforcer les armées en campagne et
les ravitailler en vivres et en munitions.
La baie, qui n'avait alors que l'abri naturel des montagnes
environnantes connut, à cette époque, le même
mouvement qu'au temps des Romains. Malheureusement, quelques
naufrages vinrent attrister le corps d'occupation.
Le plus émouvant est celui de la Corvette de charge LA
MARNE, survenu le 25 janvier 1841, par une violente tempête.
Le vaisseau ayant chassé sur ses ancres fut poussé
à la côte et talonna des roches sous-marines.
Cette catastrophe maritime fut particulièrement meurtrière
: 43 cadavres de matelots furent retrouvés sur la plage
de Stora quelques jours après, et chose curieuse parmi
eux se trouvait le corps du boulanger du bord AHMED BEN SAAD,
Biskri. Ce qui démontre, que, dès les premiers
jours de la conquête, l'exode des indigènes du
Sud, avides d'aventures et curieux de voyages, avait commencé
et se continue encore, puisqu'une grande partie des travailleurs
des quais est toujours fournie par des Biskris.
"Le 4 janvier 1841, 31 navires de
commerce, nous dit un spectateur de ce désastre, étaient
mouillés à Stora. LA MARNE, corvette de charge
et l'ARRACH, balancelle stationnaire.
La tempête éclate. Le brick français l'ACCELERE
est jeté à la côte, mais son équipage
est sauf, de même que l'ADOLPHE qui se perdit à
1 heure du matin.
La tempête continua le 22 et le 23. Tout Stora et Philippeville
regardait LA MARNE lutter contre la tempête. Vers midi,
après de nombreux essais pour lancer des amarres, et
après deux heures d'efforts, un câble fut arrimé
à bord et retenu à terre par 500 hommes qui se
relayaient. La plupart des marins qui avaient emprunté
le câble pour gagner la plage, furent arrachés
par la mer et se noyèrent. Plusieurs sauveteurs furent
également emportés. 100 hommes restaient sur le
pont, puis la mer brisa le navire en trois. Le commandant GATHIER
et un matelot purent atteindre le rivage et furent sauvés.
Un trois mâts russe de 266 tonneaux fut jeté sur
les maisons de Stora et s'enlisa dans le sable de la plage.
Des 31 navires mouillés dans la rade de Stora, 28 dont
10 Français et 4 francisés avaient péris,
5 bateaux allèges furent brisés. 53 hommes périrent
sur les 150 hommes de l'équipage de LA MARNE. L'Etat
major fut réduit au Commandant et à un Enseigne
de vaisseau. On ne sut jamais le nombre d'hommes noyés
"
Les registres des décès de Philippeville portent
à la date du 5 mars 1841 que les cadavres relevés
sur la plage, provenant du naufrage de LA MARNE sont ceux de
:
OLIVIER, matelot, LEGOLF matelot, MASSE maître d'hôtel
des officiers, ARENE quartier maître canonnier, COUDRAY
matelot, VIAL maître canonnier, et M. PONIER médecin,
GOHIN boulanger de la corvette, AHMED BEN SAAD BISKRI aide boulanger,
deux autres n'ont pu être identifiés.
Le 1er février on avait trouvé et identifié
:
CARRIERE JEAN matelot, DUCHENNE matelot de cuisine, COUDROYER
matelot, LAPORTE mousse, SERRE capitaine d'armes, ROUERE mousse,
SERRE MICHEL mousse, CORDIER mousse, RENOUX deuxième
chef de timonerie, BUTEAU matelot gabier, LANUSSE matelot :
10 autres sont restés inconnus.
Au début de janvier 1843, une nouvelle tempête
brisait le brick goélette LA SAINTE CATHERINE et le trois
mâts LES 3 FRERES sur les rochers de la plage du Beni
Melek. Tous les hommes furent noyés, sauf le capitaine
en second du trois mâts.
Le 8, on trouvait sur la plage, trois naufragés dont
les cadavres ont été reconnus :
BERNEAUD GUILLAUME, 42 ans, capitaine commandant le navire marchand
LES 3 FRERES, GIRAUD LOUIS, 25 ans, et ALBIN LOUIS, 27 ans,
matelots.
Non loin de l'établissement de bains et de l'Hôtel
Miramar au ravin du lion, se trouvait jadis un lazaret pour
les navires en provenance suspecte.
Au sommet de la colline, à côté du sentier
qui descend sur la plage, existait un petit cimetière
de pestiférés, dont on n'a pu sauver qu'une tombe
de la destruction des bergers indigènes. Une plaque de
grès à fleur de terre, envahie par les touffes
de lentisque et de disse sauvage, indique que 3 matelots reposent
à cet endroit. Le passant indifférent ne s'aperçoit
même pas de cette sépulture qui remonte à
trois quarts de siècle.
Quelques objets provenant du naufrage de LA MARNE, et en particulier
un petit canon, sont conservés au Musée de Philippeville.
Par temps clair et mer calme, on aperçoit encore dans
le bas-fond de la rade de Stora, ce qui reste du beau bateau
de guerre.

Les destinées de Stora sont restées
modestes. La construction du port de Philippeville a arrêté
le trafic nautique et a vidé la rade de tous les bâtiments
qui sont maintenant par tous les temps en parfaite sécurité.
Stora est devenue un faubourg de Philippeville. Abritées
au creux de la montagne, les maisons des pécheurs surplombent
la mer. Les vieux réparent leurs filets, les plongent
dans d'immenses chaudières où une forte décoction
de tannin imprègne les mailles et les rend imputrescibles.
Les femmes sur le seuil des portes vaquent à leurs occupations
ou disent du bien des absents ; les enfants courent dans les
rues, pieds nus, les culottes fendues et déchirées.
C'est un coin pittoresque de Naples transporté sous le
soleil algérien.
Les hommes, qui jadis, prenaient les rames pour se rendre sur
les lieus de pèche et trimaient par tous les temps comme
des galériens, naviguent maintenant sur des balancelles
à moteur. La fatigue est en partie supprimée par
ce progrès mécanique, mais elle n'en reste pas
moins très grande, car la mer est souvent dure au large
et la pèche se fait au feu pendant la nuit, ou avec de
grands filets au lever du jour.
Les marins ne sont pas payés comme les ouvriers ordinaires.
Ils sont embarqués à la part.
L'armateur prélève d'abord deux ou trois parts,
plus une part pour le moteur, l'essence et le filet, le capitaine
en conserve une également, et le restant est partagé
par l'équipage.
Lorsque la pèche est bonne, le matelot gagne largement
sa vie. Lorsque la pèche est maigre, la part ne lui permet
même pas de payer les avances faites par l'armateur ou
le patron de la balancelle, et la femme est obligée de
s'employer dans les usines de salaisons pour assurer le pain
des enfants.
Aussi pendant l'hiver où les sorties sont difficiles
et rares, beaucoup de pécheurs de Stora viennent travailler
comme dockers sur les quais de Philippeville. Quelques-uns s'embarquent
même sur les chalutiers de pèche, pouvant quitter
le port par tous les temps et sont appointés par mois
et non à la part. Le nombre des barques de pèches
diminue ainsi chaque année et le petit port de Stora
n'abrite plus à l'heure actuelle que le quart de barques
qui l'animaient de leurs couleurs vives, il y a dix ans.
Mais dès le mois de juin, la cité s'anime. Les
estiveurs affluent sur les plages réputées, aux
eaux toujours calmes et tièdes, fréquentées
par les enfants qui peuvent se baigner sans danger, à
l'abri des grands vents. Durant tout l'été, Stora
devient une cité animée, pleine de rires et de
cris joyeux.
Des services d'autobus et de voitures permettent le transport
rapide de tous les baigneurs, et le nombre des véhicules
est si grand qu'à certaines heures il est même
difficile de circuler le long de la Corniche.
Une belle promenade consiste à monter jusqu'au col d'où
l'on embrasse le panorama de la baie et du port de Philippeville.
Dans la direction de Philippeville, en suivant
l'ancienne voie romaine, au creux du vallon qui constitue le
ravin des Corsaires ; (car la légende prétend
que dans cette crique les anciens corsaires barbaresques s'y
réfugiaient), on passe l'oued sur un pont (le pont noir)
dont l'arche unique est de construction romaine. Le parapet
seul a été reconstruit. Parmi les pierres détachées
fut trouvée l'inscription suivante :
"SOUS L'EMPEREUR CESAR TRAJAN ADRIEN
AUGUSTE, LA REPUBLIQUE DES CIRTEENS A FAIT CONSTRUIRE A SES
FRAIS LES PONTS DE LA VOIE NOUVELLE DE CIRTA A RUSICADEM. SEXTIUS
JULIUS MAJOR ETANT LEGAT D'AUGUSTE, PROTECTEUR DE LA IIIe LEGION
AUGUSTA."
La République des Cirtéens dont parle l'inscription
comprenait quatre villes libres ou colonies : CIRTA (Constantine),
RUSICADE (Philippeville), CHULLU (Collo) et MILEY (Mila) indépendantes
des gouverneurs qui furent presque toujours les légats
de la IIIe Légion Augusta, dont le camp de Lambèse
près de Batna raconte l'histoire glorieuse.
En comparant les dates du règne de ces légats,
le Pont Noir dit également Pont romain, aurait été
construit par les légionnaires en l'an 130.
La route que l'on suit jusqu'à Philippeville, est donc
la "VIA NOVA CIRTA A RUSICADEM"
la voie romaine de Cirta à Rusicade qui fut construite
et terminée sous Hadrien vers 133. D'après les
inscriptions retrouvées sur différents points
de son parcours, elle fut réparée sous Septime
Sevère, sous Caracalla, sous Gordien, sous Philippe l'Arabe,
sous Dèce, sous Treboinen Galle, sous Aurélien,
sous Carin, sous Constance Chlore, sous Constantin et sous les
Empereurs Byzantins.
Pavée de grandes dalles, cette route était encore
en exploitation sous les conquérants arabes, et au VIe
siècle, l'écrivain Léon l'Africain écrit
que depuis Stora jusqu'à Constantine se voit un chemin
pavé de pierres noires comme on en voit aucun en Italie,
qui sont appelés chemins des Romains.
La colonne du Maréchal Valée, descendant de Cirta
vers le golfe de Stora, put emprunter la voie romaine qui était
intacte sur sa grande partie.
A l'heure actuelle, encore, aux environs d'El Arrouch, on trouve
dans les terres labourées, les vestiges de cette route.
Depuis Stora jusqu'à Philippeville les riches citoyens
avaient construit de belles et somptueuses villas, et des tombeaux
magnifiques.
La plupart des villas modernes ont repris l'emplacement cher
aux Romains, tout le long de la côte.
Quelques-unes possèdent des vestiges de l'antiquité
et en passant le long de la route de la Corniche, on peut en
voir dans la propriété Blanchet.
Lorsque les Français arrivèrent à Stora,
un officier d'artillerie M. Dellamare put prendre quelques croquis
de ruines romaines importantes. Depuis tout a disparu. Il suffirait
cependant de creuser le sol pour en retrouver les traces.
Une promenade captivante qu'on ne peut malheureusement parcourir
qu'à pieds, est celle qui part du sommet de Stora par
le chemin des Crêtes et de la Redoute des singes, non
loin de la Fontaine ferrugineuse, emprunte un chemin forestier
et rejoint la route d'Aïn Zouit, et Philippeville.
Le parcours est de 12 kilomètres environ, mais la splendeur
du paysage, la beauté sauvage des sites visités,
récompensent largement le touriste de sa fatigue bienfaisante.
Toujours en partant du haut de Stora, on emprunte la route de
la Grande plage, particulièrement pittoresque, mais très
dangereuse pour les automobilistes inexpérimentés,
par ses tournants, ses pentes rapides, et les précipices
qu'elle longe pendant son parcours.
Le spectacle de l'arrivée à la grande plage, la
richesse du décor de verdure qui surgit brusquement après
dix kilomètres de brousse est saisissant.
Les touristes recevront le meilleur accueil à la ferme
de MM. Jules Grosso et Ramonatxo, et pourront se rendre compte
en la visitant de l'effort de nos colons algériens.
Une cantine-restaurant peut servir des repas aux touristes qui
voudraient se reposer avant de reprendre la voie du retour.


— Photo collection
Norbert ZAMMIT - 2003 —

|