Le village de SAINT-CHARLES
se trouve à 17 km de PHILIPPEVILLE sur la route de Constantine
(67 km). Trois rivières se rejoignent à ce centre
: Le Saf-Saf, l'oued Zerga et l'oued Hadaratz, et trois routes
s'y croisent, celle de BÔNE, de PHILIPPEVILLE et de CONSTANTINE.

Les Romains, y avaient déjà
fait passer la route de Rusicade à Cirta. Cette route
particulièrement soignée ayant 8 m de large, était
formée de moellons de grès dont quelques uns sont
encore visibles dans les champs. Une inscription trouvée
à El Diss, mentionnait que l'Empereur "CESAR
MARCUS JULIUS PHILIPPE, PREUX, HEUREUX, INVINCIBLE, AUGUSTE
GRAND PONTIFE REVETU DE LA PUISSANCE TRIBUNICIENNE, CONSUL POUR
LA IIe FOIS PROCONSUL, AINSI QUE MARCUS JULIUS PHILIPPUS,
TRES NOBLE CESAR AUGUSTE" l'avaient réparée.
Cette borne date donc du règne de
Philippe l'Arabe (244-249). C'est une des rares portant ce nom.
Toute la région de SAINT-CHARLES
était couverte de ruines romaines ce qui indique bien
l'importance de cette région.
A 1500 m de SAINT-CHARLES, on a trouvé
un moulin romain, actuellement au musée de PHILIPPEVILLE,
et les vestiges d'un bain et d'un aqueduc entre l'oued Deb et
l'oued Hamman. Du reste le nom de ce dernier oued, rappelle
certainement le souvenir de cet établissement, au moment
de la conquête arabe. Un barrage existait sur l'oued Hadaratz,
servant à l'irrigation des jardins de la rive droite
du Saf-Saf.
La période romaine terminée,
c'est la décadence rapide. Toute cette région
redevient sauvage, et les eaux l'envahissent formant un vaste
marécage.
Un historien, M. Féraud qui s'est
consacré, au moment de la conquête à l'histoire
des régions conquises, signale que depuis le village
de SAINT-ANTOINE jusqu'à EL ARROUCH, c'était une
succession de marais infects, boueux, pestilentiels. Seules
émergeaient les collines d'El Diss recouvertes de broussailles
épaisses, impraticables où s'abritaient les fauves.
Les Arabes en été, pour créer
des pâturages, incendiaient tous les chaumes, les chardons
qui couvraient le sol, et mettaient ainsi le feu aux forêts
voisines.
Les mêmes procédés sont encore employés
de nos jours par les montagnards afin d'avoir des pâturages
pour leurs bestiaux.

— Saint-Charles,
la Grande Rue —
Au début deux tribus indigènes
peuplaient cette région : Les Radjatas et les Arb Skikda.
Au commencement du XVIe siècle, la tribu des
Ouïchaoua descendant des montagnes de Collo, qu'elle surpeuplait,
s'établissait au Filfila. Une partie plantait ses tentes
le long du lac Fezzara, et le reste poussait jusqu'à
l'Edough.
Un demi-siècle après, toujours
venant de COLLO, les Beni-Mehanna pressaient les Ouïchaoua
et finalement les obligeaient à partir.
Les vieux indigènes prétendaient, en 1885, que
le fondateur de la tribu, Mehanna, était venu des montagnes
de BOUGIE. Il eut quatre fils : Bechiri, El Khezeri, Naïmi
et Messalaoui qui furent de valeureux guerriers. Ce sont eux
qui refoulèrent les Beni-Toufout, les Beni-Salah, les
Beni Isahak, et les Beni Ouelbene et s'établirent sur
la côte. Leurs descendants sont les Beni-Bechir, les Oulad
Khezer, les Oulad Naïm et les Messalaouïa.
L'historien arabe IBEN KHALDOUN, raconte
que Mehanna serait le fils de Semia, nièce du Khalife
Haroun El Rachid.
C'est une vie romancée, car ce Mehanna venant des environs
de Bougie était un Berbère, originaire de la tribu
Kabyle des Aït Melloul.
Quoiqu'il en soit, il existait dans la tribu
des Ouled Mehanna la fraction
des Oulad Sandal, dont les ancêtres, venant d'Espagne
auraient débarqué à COLLO au XVe
siècle.
Cette tribu conquérante des Beni
Mehanna, a essaimé à son tour : Les Beni Bechir
et les Ouled Khazer, occupèrent une partie du littoral
et SAINT-CHARLES et fondèrent le village d'Oued Zerga.
A la suite des Beni-Mehanna arrivèrent deux autres tribus
de pillards Kabyles, les Ouled Medjadja et les Beni Naïm
Bou Sefisfa, qui s'établirent à l'Est.
Ces Berbères et ces Arabes se sont fondus cependant,
mais quelques mots de leur langue conservent une influence Kabyle.
Toutes ces tribus très indépendantes
n'acceptent pas facilement la domination turque. Les troupes
du Bey de CONSTANTINE avaient une réelle crainte de ces
farouches dissidents. Lorsqu'elles venaient prélever
l'impôt annuel, elles s'arrêtaient au gué
de l'Oued Amar et ne le franchissaient jamais. Ce gué
était désigné sous le nom de Medjez-Chich,
actuellement ROBERTVILLE.
Salah Bey parvint à réduire
les Beni-Mehanna qui devinrent tribu makhzen, ce qui leur permit
de razzier sans scrupules tous leurs voisins.
En 1836, la tribu des Aïn Ghorab, réduite
à la misère, ne put payer l'impôt annuel.
Le Bey Ahmed envoyait alors une troupe de cavaliers qui saisirent
40 notables des Ouled Khazer, les conduisirent au bord du Saf-Saf,
leur tranchèrent la tête et les apportèrent
à CONSTANTINE.
En 1837, CONSTANTINE est prise d'assaut
par les troupes françaises, et dès l'arrivée
de cette nouvelle, les tribus pressurées se livrent à
des fantasias et des réjouissances frénétiques.
Cette joie fut de courte durée, car
le général Négrier, cherchant un débouché
sur la mer, quittait CONSTANTINE le 7 avril 1838, s'arrêtait
à EL ARROUCH et campait à l'Oued Zerga le 9 avril,
puis descendait vers la côte pour reconnaître STORA.
La tribu des Beni-Mehanna s'était
scindée en deux fractions : L'une, favorable aux Français,
les Souhalias, dont le Caïd Saoudi reçut l'investiture,
l'autre ; les Djeballa qui se retranchèrent dans leurs
montagnes, et étaient hostiles aux conquérants.
En octobre 1838, le Maréchal Valée
refaisant les mêmes étapes que Négrier,
s'installait définitivement à PHILIPPEVILLE. Une
route fut commencée pour faciliter les communications
avec CONSTANTINE. Un fortin fut bâti à El Diss
(le camp El Diss) et un autre au village d'Oued Zerga qui reçut
le nom de Grand'Halte.
Un fanatique Si Zerdoud ayant soulevé
le pays contre les Français, tourne le camp El Diss,
et attaque le Caïd Saoudi et sa tribu.
Le colonel Brice, à la tête
d'une colonne, part de PHILIPPEVILLE et rencontre Si Zerdoud
et ses partisans le 3 mai 1842, à El Diss dont le blockhaus
est défendu par le capitaine Hascouet du 19e
Régiment d'Infanterie Légère.
Deux mille indigènes assaillent également
le camp d'EL ARROUCH. Le Caïd Saoudi entraîne les
Beni-Mehanna et vole au secours de la garnison, Zerdoud se retire
et dirige son action sur PHILIPPEVILLE, fort de l'appui d'Abd-El-Kader.
Le général Baraguay d'Hilliers survenant, bat
complètement Zerdoud, qui est tué dans la nuit
du 2 au 3 mars 1842.
A compter de ce jour, la route fut sûre.
Des colons purent s'établirent dans toute la région.
Les camps d'El Diss et de la Grand'Halte purent être supprimés.
Le camp d'Oued Zerga servait de cantonnement
aux troupes du génie qui construisaient la route. Des
négociants aventureux édifièrent quelques
baraques en planches pour écouler leurs produits. En
1845, quatre maisons en maçonnerie sont construites :
C'est l'origine du village de SAINT-CHARLES.
Cependant la tribu des Beni Salah, sur la
rive gauche de l'Oued Guebli était composée de
pillards qui mettaient la région en coupe réglée.
Le colonel Barthélémy mobilisait les hommes du
Caïd Saoudi et les lançait sur les Beni Salah qui
furent battus et demandèrent la paix.
Le colonel Barthélémy obtint
alors des Beni Mehanna qu'ils abandonnent leur territoire et
leur cédait en échange les terres de la rive droite
du Saf-Saf. Il libérait ainsi 12000 ha, et créait
aussitôt le village de l'Oued Zerga, en 1846. Un fossé
d'enceinte fut creusé par un bataillon du 43e de ligne
et des maisons furent construites. Le nom de SAINT-CHARLES fut
donné au nouveau centre créé par ordonnance
royale du 6 avril 1847.
Dès la création du village,
30 familles obtinrent des concessions ; le plus grand nombre
de 9 à 11 hectares de terres déjà défrichées
par les tribus indigènes, 4 concessions de 60 hectares
et 2 de 200 hectares. 21 de ces concessionnaires sont des cultivateurs,
9 sont des militaires retraités.

— Saint-Charles,
la Mairie —
Installées en 1850, quelques années
après, ces familles avaient presque totalement disparues
; quelques colons moururent avant d'avoir creusé un seul
sillon avec leur charrue. Jusqu'en 1857, les concessions passent
en plusieurs mains.
Les premiers habitants furent décimés
par le climat, et les fièvres.
En 1865, une Française venant de VERMONT-SUR-ORNE à
CONSTANTINE raconte son voyage, et rappelant son passage dans
la région de SAINT-CHARLES écrit :
"Les miasmes
fiévreux qui se dégagent de la fertile vallée
du Saf-Saf, et des défrichements entrepris ont peu à
peu dépeuplé chaque maison ; on prétend
que peu de travaux faits avec intelligence, suffiraient pour
assainir ces lieux et que plus tard on les habitera sans danger.
Je ne sais si, A MOINS D'Y PARQUER DES CONDAMNES,
ON TROUVERA DES AMATEURS".
Le maire de SAINT-CHARLES écrivait
le 21 août 1851 au Sous-préfet de PHILIPPEVILLE
".....J'ai l'honneur de vous rendre
compte que la fête impériale du 15 août a
été célébrée à SAINT-CHARLES,
avec autant d'éclat, de pompe et d'entrain que peut en
apporter une population au trois quarts malade....."
Malgré cet état désastreux
de la santé publique, la population qui était
de 63 habitants en 1849, passe à 284 en 1861 et à
378 en 1878. Elle descend à 276 en 1881, pour remonter
à 350 jusqu'en 1914. Depuis la guerre elle se stabilise
à 235 habitants européens.
SAINT-CHARLES est devenu très salubre.
De grands travaux, de belles plantations d'arbres, un assainissement
constant des plaines, en ont fait un beau village où
chacun peu vivre sans craindre la malaria - La meilleure preuve
en est dans l'accroissement de la population indigène
qui passe de 2000 habitants en 1844 à 3647 en 1926 et
4209 en 1931.
Le 28 août 1861, SAINT-CHARLES est
érigée en Commune de plein exercice. Le Préfet
nomme le premier conseil municipal. M. Merle des Isles est Maire
et reste en fonction jusqu'en 1883.

— Saint-Charles,
le Square —
Le 9 mai 1863, le maréchal de Pellissier,
gouverneur de l'Algérie pose la première pierre
de l'Eglise de SAINT-CHARLES.
NAPOLEON III se rendant à Constantine
traverse SAINT-CHARLES à l'aller et au retour. Le dimanche
28 mai 1865, il s'arrête à El Diss pour y déjeuner,
à l'ombre d'un massif de lentisque situé sur la
propriété de M. Pascal Bugelli. Le 6 juin à
son retour, l'Empereur remarquait sur cet emplacement, un monument
commémoratif portant l'inscription :

M. Bugelli avait creusé sur les trois
autres faces du monument un emplacement identique pour y inscrire
chaque année disait-il "ce
que l'Empereur aura fait pour l'Algérie après
son voyage."
L'Empereur a disparu sans que son admirateur
ai pu accomplir son voeu. Les 3 faces sont restées vierges.
Par contre, l'inscription primitive est
devenue illisible ; ayant été martellée
par les balles des chasseurs qui manifestaient ainsi leurs sentiments
politiques nouveaux.
La région de SAINT-CHARLES est une
des plus riches de l'arrondissement. De très grands domaines
complantés en vignes donnent un vin excellent et réputé.
De belles orangeries s'étendent sur
les deux bords du Saf-Saf où elles puisent pendant l'été,
l'eau nécessaire aux arrosages.
Bien que le lit de la rivière soit
généralement sec, un cours d'eau souterrain circule
cependant. Il suffit de creuser dans le sable des trous peu
profonds pour voir apparaître le précieux liquide,
richesse des riverains.
