Discours prononcé
par Marcel DUCLOS |
Mon Général, |
LA Délégation Spéciale de la Ville d'Alger a l'ardent désir d'honorer avec éclat la mémoire de ceux qui, héroïquement, succombent pour que la France vive.
Le nom de cette rue, la manifestation solennelle qui entoure son baptême, la présidence effective qu'en assume le général de Gaulle Chef du Gouvernement de la Libération nationale, la présence des éminentes autorités civiles et militaires de l'Empire français et de nos Alliés en portent témoignage.
C'est officiellement la France, par tous ses représentants, qui exalte le souvenir du héros tombé pour sa délivrance ; mais c'est plus douloureusement, plus fièrement aussi, la Cité tout entière qui s'associe à l'hommage rendu à l'un de ses glorieux enfants.
Oui, le lieutenant-colonel, Comte Jean Colonna d'Ornano, descendant d'une des plus nobles familles de l'admirable Corse, est né à Alger, le 5 avril 1895.
Si la petite Patrie de son aïeul, le maréchal de France Alphonse d'Ornano, fils du grand Sampiero Corso, le revendique avec orgueil, Alger le dispute à sa fierté.
Il a servi dans un régiment de notre ville ; il habita un des immeubles de cette même rue. Son épouse, Mme la Comtesse d'Ornano, son frère, l'éminent Bâtonnier de notre barreau, Président des groupements corses de l'Afrique française, devant qui j'incline le salut profond de la Ville d'Alger, comptent au premier rang de nos concitoyens.
C'est d'Alger que le Colonel partit pour l'accomplissement de sa grande épopée coloniale qui, en 1938-1939, le trouva placé à la tête du territoire de Faya, dans le Soudan-Tibesti.
Au jour terrible de l'armistice, il était à Brazzaville.
Cet armistice, dont l'histoire dira qu'il fut la pause affligeante de l'Honneur, il ne l'accepta pas.
Il a entendu, du fond de l'abîme, monter l'appel de général de Gaulle ; en même temps que les Catroux, les Larminat, les Kœnig et les Leclerc, il apporte son épée au nouveau Chef qui réunira bientôt autour de lui les Pleven, les Cassin et combien d'autres.
Il entreprend sa dernière croisade, la lame haute, dans le Sud-Ouest Lybien.
Il est alors Lieutenant-Colonel, Officier de la Légion d'Honneur ; sa Croix de guerre est ornée de cinq étoiles et palmes.
Onze janvier 1941. Il amorça par un raid courageux la conquête du Fezzan.
Le voici en face de Mourzouk.
L'ennemi occupe, solidement retranché, un ouvrage hérissé de redoutables défenses.
L'intrépidité de d'Ornano électrise la petite troupe qu'accommpagne un détachement de la vaillante armée anglaise.
Et voici que sonne l'heure du sacrifice.
Une mitrailleuse crépite.
Un homme s'affaise dans l'automobile qui, audacieusement, l'emportait jusqu'au pied de l'ouvrage ennemi.
Il est tué au début même du combat vengeur qui assure le plein succès du raid de destruction.
Deux ans après, jour pour jour, la vaillante colonne Leclerc rentrait à Mourzouk, conquérait le Fezzan, pour ne pas l'abandonner.
Le premier hommage était rendu au colonel d'Ornano.
Peu après, sur l'humble tertre qui garde jalousement une dépouille aussi chère, le 21 février 1943, une croix de Lorraine faite de fleurs était jetée, du haut de son avion, par le Colonel Ingold, commandant le régiment du Tchad ; une croix de Lorraine, double croix symbolique, attestation suprême de l'Héroïsme et de la Mort.
Un autre hommage, d'une émouvante simplicité, vient d'être rendu, avant celui-ci, au glorieux soldat, la nouvelle m'en a été portée récemment par ce télégramme :
"De Debha, Membres mission scientifique Fezzan, ont tenu faire pèlerinage Colonel Colonna d'Ornano avant commencer travaux dans région - Amicalement - Signé Marius Dalloni, membre de la Délégation spéciale d'Alger."Voilà le soldat, la haute figure, le héros de la France qui n'a jamais désespéré, dont le nom sera désormais porté par cette grande rue de la Cité.
A jamais, ce nom demeure attaché aux noms prestigieux de Mourzouk, d'El-Alamein et de Bir-Hakeim, dont la gloire jalouse, celle que toutes nos armées, confondues dans un même élan de patriotisme et de foi, ont fait reluire sur les champs de bataille de la Tunisie et de l'Italie.
Mon Général, de si hauts exemples sont nés de votre exemple.
En exaltant le culte de la Patrie, en ranimant le sens du sacrifice suprême, en l'éclairant, en proposant aux français divisés une réconciliation tout entière fondée sur les bases de la morale et du devoir commun, vous n'avez pas seulement fait revivre la vocation de la France à la grandeur et son droit à la Victoire, vous lui avez rendu, aux yeux de l'étranger, aux regards de nos Alliés, son vrai visage ; vous lui rendez ses armes spirituelles par lesquelles elle fit, autrefois, à travers le monde, la conquête des âmes.
C'est pourquoi aujourd'hui, en même temps qu'Alger témoigne son amour à l'un de ses enfants qui ont le mieux servi la Patrie douloureuse, monte vers vous, mon Général, l'hommage populaire qui est la plus douce récompense des chefs.
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